C'est une vieille dame toute seule qui serre son sac tout contre elle
Inoffensive, peu pressée que le
bon Dieu l'emmène
Y a encore dans ses yeux comme une
p'tite étincelle
Elle ressemble à un portrait de
Norman Rockwell
(Eddy Mitchell)
Dans la grande série, j’aime et je n’aime pas (inaugurée ici avec Mika) voici : j’adore Norman
Rockwell. Pourquoi ? D’abord parce qu’il avait un sacré talent le bougre. Pas son pareil pour nous raconter des petites scènes de la vie quotidienne de ce qu’était l’Amérique des
années 40, 50. C’est tout un témoignage d'une époque et d'un pays certes idéalisé, mais c’était l’Amérique telle qu’on la rêvait dans ces années-là. Revoir les illustrations de Rockwell c’est un
peu feuilleter avec nostalgie un album d'histoire de cette Amérique populaire, idéale et naïve qu'il se plaisait à reproduire, souvent avec humour.
autoportrait
Considéré comme l’un des précurseurs de l’hyperréalisme, il était un maître de la peinture dite « narrative »
(storyteller style) c'est-à-dire pensée pour raconter explicitement une scène, une histoire.
Ainsi le célèbre «the runaway » (le fugueur).
On y voit un brave motard de la police et le serveur d'un drugstore s'intéressant à un petit garçon qui de toute évidence
est en fugue. Lequel gamin, bien que décidé à faire le tour du monde, fait d’abord une petite « halte ice-cream ». Une bonne « Sunday », ça donne du courage. On devine que le
gentil policier ramènera le gosse chez lui, que sa jolie maman sera trop émue pour penser à le gronder, et que le policier se verra offrir du café et
un morceau de tarte aux pommes. Et le soir, le gamin s’endormira en rêvant à la fantastique aventure qu’il vient de vivre…
Deux illustrations. La première pourrait s'intituler "la fièvre du lundi matin..."
Illustrateur au Saturday Evening Post, puis dans les années 1960 à la revue
Look, Norman Rockwell livra, chaque semaine pendant près de cinquante ans, un cliché de la vie
quotidienne de ses concitoyens. A la fin des années 60, il illustrera des thèmes plus politiques comme celle de la petite fille noire se
rendant à l'école escortée par des agents fédéraux. Ceci en pleine crise de l’abolition du ségrégationnisme.
On pourrait penser qu’une illustration de Rockwell ne rendait pas plus qu’une bonne photo. Ce serait oublier que son art
consistait justement à « faire mieux » que la réalité. C’est ainsi que personnages et animaux sont légèrement caricaturés pour accentuer leurs physionomies et leurs caractères. De plus
les compositions sont savamment étudiées.
Deux autres tableaux. J'intitulerais le premier "punaise, c'est haut!". Le second est un autoportrait de Rockwell faisant son autoportrait. Vous suivez?
.
Sur le net, j’ai trouvé une étude du tableau : Steamboat Race, étude de
Patrick Hitte, lui-même artiste peintre.
Je me permets de la reproduire ici.
La première chose que l’on observe, c’est la convergence des regards, les contrastes de caractère et de position des
personnages. Comme à chaque fois on peut imaginer ce que chaque personnage représenté pouvait penser, ses relations avec les autres ou son rôle sur le bateau.
Puis, plusieurs lignes sautent aux yeux :
- l’axe de la barre, dont l’horizontale se prolonge jusqu’à l’œil du personnage assis, redoublée par l’horizontale de
la longue-vue et l’œil du matelot.
- l’oblique tracée net par le pantalon du personnage assis, prolongée par l’ensemble de son corps et redoublée par le
parapluie posé devant l’homme à la fenêtre.
- la courbe du corps du matelot, redoublée par celle de la barre.
- les deux dos obliques, penchés vers l’avant, du pilote et de l’homme à la fenêtre.
Ces quatre lignes ensemble forment l’ossature du tableau, sa composition.
Maintenant, regardez le dessin formé par ces quatre lignes.
C’est le dessin schématique d’un œil ! Voici donc une composition axée sur
la convergence de quatre regards, et avec en supplément… un œil ! Tout cela, la meilleure photo du monde n’est pas capable de nous le restituer.
Fabuleux, non ?
Aujourd’hui il y a un musée Norman Rockwell à Stockbridge, Massachusett et ses toiles sont estimées en millions de dollars.
Si vous ne savez pas quoi m’offrir pour Noël…
"Des gens ont été assez aimables pour me qualifier d’artiste. Pour ma part, je me suis toujours considéré comme étant un illustrateur.
Je ne suis pas sûr de ce qu’est la différence entre les deux. Tout ce que je sais, c’est que quel que soit le nom que l’on donnera à mon travail, je
l’ai fait de mon mieux. L’art fut toute ma vie."
Norman Rockwell